QUOI
On peut faire se souvenir quelqu’un de quelque chose qu’il n’a pas vécu.
POURQUOI
Nous avons vu dans un autre article que l’on arrive à implanter physiquement un faux souvenir dans des cerveaux de souris1. Mais il est aussi possible de suggérer un faux souvenir suffisamment bien pour que le sujet croit avoir vécu ce qu’on lui raconte et soit même capable de se souvenir de détails qu’on ne lui a même pas suggéré.
COMMENT
Vous savez, avec un peu de persuasion, vous êtes déjà sûrement arrivé à faire croire à votre collègue Michel que Jean ne reviendrait plus bosser parce qu’il avait décidé de monter une laiterie avec une vieille connaissance, les locaux se situant à 500km du bureau. Et Jean, lorsqu’il est revenu au bureau une semaine plus tard, n’a donc pas compris pourquoi Michel lui a demandé ce qui n’avait pas marché avec la laiterie… Et tout le bureau s’est bien marré.
Eh bien, dans le même ordre d’idée, des chercheurs ont réussi à faire croire à des sujets d’expériences qu’ils avaient vécu certaines choses… qu’ils n’ont en fait pas vécu !
Au cours d’une expérience, Stephen Lindsay et son équipe sont arrivés à faire croire à 50 % des sujets qu’ils ont testé qu’ils avaient effectué un vol en montgolfière dans leur jeunesse, ce qui était faux, en leur présentant des photographies truquées2.
Pour que la greffe ait une chance de prendre, trois facteurs doivent être respectés : le souvenir doit être plausible, le sujet doit s’en construire une représentation mentale et le souvenir ne doit pas sembler être produit par un état second au moment de sa construction, mais bien par la remontée d’une information fiable3.
D’autres facteurs sont facilitateurs, par exemple l’implication émotionnelle du sujet dans le faux souvenir. Si le faux souvenir ne fait pas intervenir d’émotion particulière, il a peu de chances d’être retenu par le sujet. En revanche, s’il fait appel à des émotions chez le sujet, il a plus de chances d’être accepté par celui-ci, et, en particulier, si les émotions appelées par le souvenir sont négatives, le faux souvenir sera assez précis.
En 2008, Stephen Porter et son équipe font une expérience mettant ce phénomène en lumière4 : ils incitent un groupe de sujets à se souvenir d’évènements publics du passé, dont certains sont faux. La conclusion de l’étude est que les faux évènements positifs ou négatifs sont plus facilement acceptés que ceux n’ayant pas de « couleur émotionnelle » particulière, et que ceux ayant une connotation négative génèrent des faux souvenirs plus précis chez les sujets que ceux ayant une connotation positive. La théorie de Stephen Porter pour expliquer ce phénomène est évolutionniste : d’après lui, il est crucial pour la survie de se souvenir des évènements négatifs, qu’on les ait vécus ou qu’ils nous aient été rapportés par une source fiable. De ce fait, le cerveau est plus enclin à produire des faux souvenirs précis pour des évènements de cette nature5.
CE QU’ON PEUT EN FAIRE
La conclusion de tout cela, c’est qu’il faut se méfier de ses propres mauvais souvenirs : ce sont effectivement les moins fiables, puisque ce sont ceux que nous sommes les plus à même de nous fabriquer, si les circonstances sont réunies ! Et il faut être conscient que, forcément, nos souvenirs influant sur notre lecture du présent, il faut s’interroger sur les raisons qui nous poussent à percevoir comme « viscéralement négatifs » les évènements de notre quotidien et, de manière plus générale, de l’actualité… En espérant que cet article vous laisse un souvenir durable, à la prochaine !
Pour aller plus loin / Lien(s) utile(s)
Notes
1■ Article « Des faux souvenirs dans votre cerveau »
3■ Site https://www.scienceshumaines.com/faux-souvenirs-le-poids-de-l-emotion_fr_27500.html
4■ Porter, S., Taylor, K., & ten Brinke, « Memory for media : Investigation of false memories for negatively and positively charged public events », Memory, vol.16, n°6, 2008
5■ Site PsychoTémoins, de l’Inist (CNRS), sur la recherche sur les témoignages en justice